Solennellement, les cavaliers avancent en rang serré. Vêtus de leur tenue d’apparat, ils chevauchent de fières montures, des chevaux barbes aussi magnifiques que stoïques quand retentissent les coups de mousquet. C’est la parade de la Tbourida, un art ancestral arabo-amazigh ancré dans la mémoire collective du Maroc. Appréciée du grand public, la Tbourida est incontournable dans les festivités, des moussems et festivals traditionnels aux fêtes nationales. Fascinante et divertissante, cette discipline est également prisée dans l’animation proposée par les établissements touristiques dédiés aux arts populaires.
Inscrite le 15 décembre 2021 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco (Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture), la Tbourida connaît aujourd’hui un nouveau rayonnement à l’international. Une belle reconnaissance pour cet héritage civilisationnel national qui a su se perpétuer et susciter de nobles passions, de génération en génération.
Une parade militaire héritée d’une tradition guerrière
La Tbourida est une reconstitution des assauts militaires du passé, à travers un parfait dialogue entre l’homme et le cheval
Apparue au XVIe siècle, la Tbourida perpétue une tradition guerrière qui tire son nom de « Baroud », signifiant « poudre à canon ». Mariant spiritualité, émotions et sensations, cet art séculaire n’a cessé d’éblouir les foules et connaît aujourd’hui une popularité grandissante à travers le Royaume et audelà. Le déroulement de la Tbourida exprime la reconstitution d’un assaut militaire de guerriers cavaliers, à travers un parfait dialogue entre l’homme et le cheval. La démonstration se déroule sur une piste sablée (Mahrek) longue de 200 m et large de 70 m, et réunit une troupe constituée d’un nombre impair de cavaliers et de chevaux, alignés côte à côte et au milieu desquels se place le chef de la troupe dénommé le « Mokaddem ».
Composée de 15 à 25 chevaux, la troupe ou « sorba » exécute une parade effectuée en deux parties. La « Hadda », ou le salut de la troupe, est la première partie correspondant à l’entrée en piste des cavaliers. Au petit trot, ces derniers réalisent un maniement d’armes acrobatique avant de se positionner au point de départ. C’est à partir de là que débute la seconde partie de la parade appelée « Talqa », où les cavaliers se lancent dans un galop effréné pour finir en tirant simultanément un coup de fusil à blanc, avant de se retirer, simulant ainsi un départ collectif à la guerre.
Spectacle haletant, la parade des troupes est un moment captivant, auréolé d’une forte dimension culturelle et traditionnelle. Elle s’illustre particulièrement dans le port vestimentaire des cavaliers et des chevaux harnachés, recouverts de broderies, d’étoffes et de passementerie. Par tradition, les chevaux sont montés par des cavaliers issus d’une même tribu ou d’une même région. Drapés de costumes et d’accessoires antiques, les cavaliers laissent paraître une image éblouissante. Pour exécuter la parade, les cavaliers arborent de grandes capes en laine « Selham », des pantalons traditionnels « Seroual », des turbans enroulés sur la tête « Rezza ».
La noblesse et le charisme du cheval barbe
Emblème du cheval oriental, le cheval barbe ou arabebarbe est généralement plus grand et solide que les autres chevaux. Sa morphologie typique d’un cheval de selle adapté à la vitesse rend la parade de la Tbourida plus spectaculaire. Animal sacré dans la culture musulmane, son utilisation par les sorbas accorde une dimension spirituelle à l’art équestre de la Tbourida. Aujourd’hui, seuls les chevaux de cette race sont autorisés à concourir dans les épreuves officielles de la Tbourida, une règlementation instituée depuis 2018 par l’Unesco (Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture).
L’indispensable transmission aux jeunes générations
L’évolution de la Tbourida en sport équestre permet de perpétuer cette tradition qui intéresse de plus en plus la jeune génération, y compris les filles qui pratiquent désormais la Tbourida, un art jadis réservé aux hommes. Devenue officiellement un sport national, la Tbourida a intégré depuis 2000 la Fédération Royale Marocaine des Sports Équestres qui, soucieuse de développer l’attractivité de cet art, a consacré une compétition dédiée aux jeunes âgés de 10 à 15 ans. Ces derniers concourent dans des « sorbas » (troupes) soumises aux normes adoptées dans le classement des aînés. S’agrandissant de plus en plus, cette discipline équestre compte aujourd’hui plus de 320 troupes qui participent au Championnat national, organisé en concours régionaux et interrégionaux avec une finale nationale.
De grandes compétitions accueillent la Tbourida
Placé sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’Assiste, le prix Hassan II de Tbourida qui se tient annuellement au Complexe Royal des Sports Équestres et Tbourida de Dar Es-Salam à Rabat, est un moment de grand spectacle, réunissant tous les amateurs de cet art traditionnel.
D’autres grandes manifestations accueillent aussi l’art de la Tbourida, notamment le Salon du Cheval d’El Jadida et le Moussem de Moulay Abdellah. Lors des compétitions, pour départager les concurrents, les jurés se basent sur des critères axés sur la qualité du départ, l’alignement parfait des chevaux, la tenue des cavaliers, le harnachement des chevaux, l’art dans l’exécution du jeu de fusil, la précision et la simultanéité des détonations.
Inscription de la Tbourida au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco
Déposé officiellement en 2019, le dossier d’inscription de la Tbourida sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco aura pris 2 ans d’étude. La candidature portée par le Ministère de la Jeunesse, de la culture et de la communication, de connivence avec la Société Royale d’encouragement du cheval et la Fédération Royale Marocaine des sports équestres, a été approuvée le 15 décembre 2021.
Cette inscription de la Tbourida sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel (PCI) est une fierté marocaine et une reconnaissance internationale envers une culture authentique nationale conforme aux objectifs de la convention pour la sauvegarde du patrimoine mondial de l’Unesco, signée en 2003.
Cette convention définit le patrimoine culturel immatériel comme étant des pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoirfaire, devant avoir une valeur universelle exceptionnelle. Elle entend assurer aux cultures inscrites sur la liste du PCI une certaine viabilité, identification, documentation, ainsi qu’une mise en valeur et une transmission essentiellement par l’éducation formelle et non formelle.
La liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité est un label international pouvant impulser la culture de la Tbourida
Une impulsion à dimension sociale et économique
Impulsant une valeur sociale et économique pour le Royaume, l’inscription de la Tbourida au patrimoine
culturel immatériel de l’Unesco est un moyen de favoriser les échanges culturels interrégionaux avec, notamment, l’organisation de compétitions nationales qui améliorent les pratiques équestres pour les rendre plus respectueuses du bien-être des cavaliers et des chevaux. Elle valorise également les célébrations coutumières et religieuses, cérémonies nationales et familiales, attirant plus d’amateurs au niveau national et international et consolidant ainsi la visibilité de cet art.
La liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité est aussi un label international pouvant impulser la culture de la Tbourida. Grâce à un fonds dédié mis sur pied par l’Unesco, des projets documentaires et de recherches pour la valorisation et la préservation de la Tbourida peuvent être financés à travers des mécanismes de subvention. À ce jour, le Royaume a pu placer 12 inscriptions sur la liste du patrimoine culturel et immatériel de l’Unesco dont la culture gnaouia, la danse Taskiwin et l’Argan.