Sur les hauteurs de l’emblématique colline d’Agadir, les travaux de réhabilitation du site historique d’Agadir Oufella avancent à bon rythme. Il y a quelques mois, nous vous avions présenté la phase d’archéologie préventive des remparts, puis le début de leur restitution architecturale. Aujourd’hui, les remparts connaissent une nouvelle étape de leur restitution : l’application d’un enduit de chaux qui fera retrouver à la Kasbah son aspect de blancheur immaculée, telle qu’elle était à la veille du tremblement de terre de 1960.
Pour rappel, la mise en patrimoine d’Agadir Oufella entre dans le cadre du Programme de Développement Urbain de la Ville d’Agadir 2020-2024 lancé le 4 février 2020 par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste. Le projet s’appuie sur un protocole scientifique multidisciplinaire et selon les principes de la science ouverte et participative, tout en mobilisant les dernières technologies de digitalisation au service de la conservation.
La forteresse d’Agadir Oufella a incarné, durant plus de six siècles, un port important au débouché des grandes routes continentales qui liaient Sahara et Europe, Afrique et Asie. Ce site de promontoire exceptionnel a été classé comme monument historique marocain en 1932. La Kasbah ayant été en grande partie détruite, la nuit du 29 février 1960, ses vestiges sont restés un lieu de mémoire douloureux. Soixante années après le tremblement de terre, il a été décidé de donner une nouvelle vie à ce légendaire site de l’histoire du Maroc, dans le respect des protocoles internationaux des interventions patrimoniales post-catastrophes, afin de l’ouvrir à la visite et au recueillement. Pour sa mise en œuvre, ce projet a été confié à l’Architecte Anthropologue Salima Naji, renommée et plusieurs fois primée pour ses restaurations ou requalifications de complexes patrimoniaux et d’édifices anciens.
Rendre à la Kasbah sa silhouette perdue
Le défi consistait à décrypter et faire revivre un monument porteur de tant de charge émotionnelle pour les citoyens d’Agadir. Les espoirs placés dans cette mission sont en effet immenses, car en restituant la silhouette de la Kasbah telle qu’elle était à la veille du tremblement de terre, il s’agit de réconforter les mémoires meurtries et d’offrir au lieu une nouvelle vie dans le respect du passé et en phase avec son époque actuelle.
Pour rendre à la Kasbah sa silhouette perdue, il fallait donc reconstruire les murs tels qu’ils étaient originellement, avec les matériaux locaux et selon les techniques originelles, sur des linéaments vérifiés par les archéologues dans leur état de 1960. Dans la phase première de reconstruction du Mur Est et du Mur Sud, une étude fine de leur bâti a suivi leur décapage complet, en concertation avec les archéologues et l’équipe de la maîtrise d’œuvre.
Pour ce faire, toutes les informations matérielles fiables ont été recueillies et toutes les phases de l’histoire de l’édifice ont été documentées, à partir de captations de drone combinées aux relevés de terrain et aux photographies d’archives.
Rétablir le chemin de ronde et le dessin des merlons
Pour reconstruire ensuite ce mur et lui rétablir son chemin de ronde et le dessin des merlons, la pierre a été réemployée pour assurer la continuité de la construction dans un ensemble structurellement cohérent. Après avoir été disposées selon les techniques de panneresses et de boutisses, les pierres ont été hourdées au mortier de chaux, matériau liant réversible et permettant une solidité adéquate pour ce projet. Après la restauration, les parties anciennes du mur, qui avaient résisté au tremblement de terre, seront volontairement données à voir au public.
Enduire les murailles d’un manteau blanc
Une fois la volumétrie restituée, un enduit de chaux a été appliqué de façon uniforme sur l’ensemble des murailles pour les protéger. Les étapes de restitution de la Kasbah, telle qu’elle était à la veille du tremblement de terre, comprenaient en effet aussi son aspect blanc, comme en témoignent divers éléments chaulés attestés à l’intérieur des murs fouillés ou au pied des fortifications ayant résisté au tremblement de terre (façade Ouest), mais aussi de nombreuses photographies d’archives. Par ailleurs, à proximité du site, en contrebas, ont été découverts d’anciens fours à chaux, ce qui prouve que les sédiments marno-calcaires disponibles avaient, de longue date, servi à la fabrication d’une chaux locale. Les pisés historiques analysés en laboratoire par LPEE font état de ce type de terres à proximité. Ainsi, comme beaucoup de kasbahs exposées à un milieu maritime et à une érosion constante, Agadir Oufella était originellement en grande partie recouverte de chaux blanche avec un pisé stabilisé en partie à la chaux.
Le blanc, couleur du prestige
Utilisés couramment dans la construction depuis l’antiquité, les enduits de chaux extérieurs sont présents sur l’ensemble du territoire régional, notamment sur les parties sommitales des borjs ou des greniers collectifs, sur certains bastions, sur les coupoles des saints et des mosquées… Les citadelles toutes de blanc vêtues se rencontrent plutôt sur les côtes : Dar El Baïda (Casablanca), Azemmour et tous les anciens ports lusitaniens.
La couleur blanche est en effet la couleur du prestige. Dans l’Empire chérifien, les enduits blancs sont une donne connue pour tous les règnes. Ainsi, à Agadir, chaque pouvoir en place aura successivement matérialisé son prestige en enduisant la Kasbah d’un manteau blanc.
Un mur présentant les stigmates de son âge
Afin de mettre au point le bon enduit, il fallut finaliser le travail d’enquête et de documentation sur la Kasbah à partir des témoins anciens, réchappés des assauts du temps. Pour l’architecte et ses équipes, il s’agissait d’élaborer le bon dosage à partir des gestes appropriés, dans l’idée du respect de l’histoire. Ce processus a nécessité un effort de la part des ouvriers, habitués à préparer des enduits standards moins complexes. Retrouver les gestes des anciens était donc indispensable. L’enduit obtenu fut ensuite testé au niveau esthétique, résistance et arrachement. À la toute fin fut apposé le dernier « lait de chaux » pour terminer le travail et étanchéifier l’ensemble, tout en conservant des murs perspirants.
Le gobetis, premier enduit de dressage, a donc été fait sans truelle mais au gant, en soulignant la maçonnerie première des lignes de pierre maçonnée, et en laissant bien visibles les enduits qui avaient tenu depuis des dates plus anciennes « pour respecter les stigmates de l’histoire ». La valeur d’ancienneté est ainsi présente sur les parties historiques, laissées en réserve, témoignant de cette matérialité-là issue du passé. Le public pourra donc distinguer, après la restauration, les parties du mur qui ont résisté au tremblement de terre et celles qui ont été reconstruites à l’identique. Deux laits de chaux les différencient, un ton plus soutenu pour le passé, un ton immaculé pour la reconstruction très récente.